Deux binômes : regarder-voir, entendre-entendre.
Lors d’une promenade hivernale sur la plage où le silence cède la place au souffle de la mer et où les couleurs de Morandi nous enveloppent comme une couverture de poussière, j’ai regardé autour de moi et entendu le grondement des vagues sur les galets de pierre.
Mon regard nomade s’est promené du sol au ciel et vice-versa dans une marche lente et méditative.
Les galets et les bois et leurs formes infinies si organiques et harmonieuses cédaient la place à l’horizon parfait, linéaire, immatériel, puis mon regard se reposait à nouveau sur le sol et sur les restes tristes et toujours étrangers de plastique, étrangers par leur forme et leurs couleurs artificielles.
Parmi ces éléments, un autre habitait l’espace, les restes métalliques et rouillés d’outils, de pièces mécaniques, d’objets décoratifs maintenant délabrés, j’ai donc ressenti le besoin de les prendre en main, de les toucher ; sentir leur poids ; observer leurs rides, le métal comme les pierres sont des éléments vivants.
La rouille me renvoie immédiatement à des souvenirs lointains, à l’histoire. Je continue ma marche lente et méditative tandis que mon regard, comme hypnotisé, se pose de plus en plus sur ces restes de métal, alors je me concentre uniquement sur eux, et chaque fois que j’en vois un, je vais à sa rencontre. Au loin j’en vois un qui a pour forme et peut-être pas seulement les traits d’un buste d’homme de profil, je m’en approche et le prend dans ma main, c’est un profil oriental avec la forme de l’œil dit en amande, et sur le crâne c’est comme s’il avait un étrange chapeau, un Geluk, le chapeau jaune tibétain, j’ai donc ressenti le besoin de le prendre avec moi. À partir de ce moment-là, entendre la réverbération des vagues est devenu écouter le murmure de la mer, son chant, son cri, le regard vague s’est transformé en vision de ce qui n’était auparavant que des fragments de métal devenus de véritables reliques, des amulettes sacrées, étranges, avec leur propre histoire et message, une magie s’installait et mon errance devenait une véritable recherche, une recherche de l’arcane, comme l’aventure d’un enfant qui arrive encore à se surprendre et à nous surprendre avec son enthousiasme pour la vie.
Une référence artistique je pense inconsciente mais qui a probablement influencé ce travail et peut-être d’autres est Tony Cragg, avec New Stones il se consacre depuis des années à la collecte de fragments de plastique trouvés sur les plages, il les ramasse et tels quels il les compose dans des compositions libres qui peuvent devenir des tapis, des cartes ou un simple objet qu’il utilise comme modèle et répète avec ces fragments dans un grand format. La nouvelle nature ainsi appelée qui nous submerge de plus en plus et contribue grandement à la mort de notre planète, la Pachamama des Incas. Les compositions sont extrêmement élégantes et je dirais même délicates, chaque objet habite son emplacement précis et ensemble ils construisent ces compositions précieuses, toutes ponctuées de nuances de couleurs extrêmement calibrées. C’est vrai, il rend précieux un élément pauvre et polluant mais en même temps il le met sous nos yeux, l’art est le miroir de la société et il en est le prophète. Une autre œuvre, toujours très élégante, sont les « Cathédrales », des morceaux de couronnes de moteurs de voitures désaffectés qu’il assemble et imbrique avec une recherche minutieuse et patiente les transformant en précieuses cathédrales.
Giuseppe Fabris 2020