La Project Room du Palazzo Tagliaferro est un lieu où de jeunes artistes sont appelés à proposer un projet artistique défini et pensé pour les espaces du Palazzo Tagliaferro, un projet qui fasse partie de leur recherche.
Depuis de nombreuses années, la famille considérée en tant qu’institution capable d’enregistrer et de refléter l’histoire du monde à travers l’histoire personnelle de ses membres, est au centre des intérêts de Giuseppe Fabris.
L’artiste, diplômé de l’Académie des Beaux-Arts de Bologne, vit et travaille sur les hauteurs de Saint Jeannet, dans l’arrière- pays niçois. Au fil des années, ses aller-retours entre France et Italie l’ont amené à vivre à Paris. C’est là qu’il rencontre, dans des circonstances totalement différentes, deux familles dans la vie desquelles il entre en observateur respectueux, mais aussi en tant que membre temporaire bien accueilli. Ces expériences se développent dans plusieurs séries de travaux qui trouvent dans la présente exposition leur synthèse avec la recherche faite par Fabris sur la mémoire paternelle de la guerre et la mémoire maternelle d’un monde révolu mais qui, à tous égards, a fait de nous ce que nous sommes.
« Motus familia » est le titre de ce projet qui s’articule avec l’exposition principale de Jane McAdam Freud dans un dialogue rendu possible par la proximité des thèmes abordés et par une sensibilité commune.
« Motus familia » se réclame de l’idée du mouvement, du chamboulement affectif que nous vivons tous en participant à la vie en commun de cette « micro-société » qu’est la famille. Au centre de l’histoire et de la culture de la Rome antique, la famille est le lieu de la protection, du refuge, du secours, en même temps que des affects et du vivre ensemble. Ses mouvements correspondent parfois à des bouleversements sentimentaux et psychologiques pour ceux qui sont impliqués.
Le projet de Fabris se propose d’enquêter sur le sens de cette institution millénaire en présentant une grande installation à même de nous faire traverser l’histoire de trois familles nucléaires, ainsi que ce qu’elle lui suggère, comme l’artiste les a vues et reconstruites à travers le dessin, la peinture et l’art vidéo.
« Cette exposition, dit Fabris, a à voir avec ma propre famille, une famille acquise et une famille trouvée, la deuxième guerre mondiale et la guerre du Vietnam. C’est une espèce de micro-épopée qui part de ma propre famille pour ensuite en connaître une seconde et l’ « adopter » pour une seule journée, et finalement en trouver une autre dans un dépotoir (de photos et d’objets qui appartenaient probablement à un vieux monsieur décédé) et recueillir les témoignages.
Le travail est articulé sur des registres variés : le dessin, la photographie, la vidéo, le son et une sculpture faite avec des journaux français des années 1938 à 42.
Fabris part d’un discours personnel et intime tissé avec ses parents en tant que témoins oculaires d’une époque que n’a pas vécue l’artiste ; puis il passe à son propre vécu direct avec la famille, que « pour une journée seulement » il reconstruit autour de la figure d’un poète ‘on the road’ d’origine vietnamienne arrivé à Paris en 1968 pour fuir la guerre qui a fini par vivre en marge de la société mais avec dignité et conscience.
La « famille trouvée » est au contraire celle faite de traces photographiques que l’artiste sauve d’une destruction certaine et transforme en œuvres d’art, en faisant vivre le sens d’une nostalgie qui devient un concept et une pratique esthétique.
« Je ressens personnellement comme très vraie la phrase de Jane McAdam Freud qui dit : je continue à faire le portrait de mon père pour le maintenir en vie », dit Fabris. « Je crois que cela vaut également pour moi et pour nous tous : le fait de revoir une photo, de répéter une phrase qui appartenait à nos proches, une expression du visage, un parfum, fait revivre en nous ces personnes pour un instant. Les personnes que nous avons aimées, que nous continuons à aimer et qui habitent pour toujours une partie de nous-mêmes. »
Nicola Davide Angerame